S-Y-S-T-È-M-E C-A-D-E-N-A-S-S-É
Ce monde est clos, et tout doit y trouver son compte, quitte à se nier soi-même, quitte à tout nier. Mais ce monde et la vie qu’il intègre ne seront jamais vraiment quittes. L’ordre social auquel nous devons notre conservation n’assure celle-ci qu’au prix de notre déchirement, qu’au prix de la renonciation à toute chose irréductible au principe unique de cette harmonie défigurée. Le monde de l’intégration ne nous réalise que négativement : c’est par le sacrifice général qu’il se maintient. Et cette folie voudrait se perpétuer, encore et pour toujours. Le système ayant manqué à sa promesse de bonheur pour l’humanité voudrait se maintenir comme caricature de l’Universel. Tel est le caprice d’une rationalité hautement déraisonnable, d’un mécanisme aveugle pour lequel la vie n’est que matériel mesurable, objet maîtrisable et sans désir, tout prêt à être écrasé, réduit, exploité, plié à la volonté de puissance de ce déchaîné système. Mais quoi ? Le dévouement intellectuel de nos vaillants philosophes ne nous aurait donc pas conduits, comme le martèlent tant d’insupportables académiciens, au démantèlement en règle de cette rationalité qui se voulait autonome et totalisante, de cette raison moderne et son mythe du progrès ? Ne serions-nous pas entrés dans l’ère du libre jeu de toutes les différences ? Il faut dire que, une fois les acteurs du grand monde intellectuel démystifiés, on passa vite le relais à ceux qui — assignés au progrès de la régression générale — répandirent la bonne nouvelle parmi le peuple sous la forme mutilée du plus vulgaire relativisme. Ainsi, alors que partout se trouve annoncé le règne nouveau d’une déroutante liberté — que ce soit par les idéologues associant la disparition de l’autorité traditionnelle à un chaos incontrôlable ou bien par le bavardage nauséabond de notre frivole jeunesse — le monde de l’économie totale, lui, se referme, tel un piège, sur ses proies aveugles et déracinées. Il est apeurant de constater à quel point certaines découvertes des plus significatives pour le monde intellectuel contemporain, en plus de se refléter dans le sens commun sous la forme d’une gigantesque imposture, se trouvent annihilées par l’ordre social auquel celles-ci devraient pourtant se mesurer, elles qui prétendent avoir pulvérisé les édifices de la capricieuse raison moderne, elles qui maintenant se taisent face à l’enfermement de la vie dans un système résultant du plus démesuré de tous les caprices, la domination absolue.