Booba vs Rohff, «le duc de Boulogne» face au «padre du rap game», B2o en guerre avec Roh2F. Quel que soit le surnom donné, tout le microcosme du rap n'a que ces deux artistes-là à la bouche. Depuis dix jours, chacun choisit son champion, ne perd pas des yeux les deux camps incriminés (un rappeur étant rarement seul), s'agite au moindre soubresaut et attend tout bonnement qu'il se passe enfin quelque chose. Espoir pour le moment vain, promesse d'un combat de poids lourds laissée lettre morte. Et ce, dans la mesure où Booba – qui vient de sortir «Caramel», nouveau titre de son prochain album «Futur» – ignore superbement son adversaire qui, lui, ne fait pas mystère de son envie d'en découdre.
Un match à sens unique qui, pour autant, ne semble pas lasser les aficionados de battle rap. «Le clash, pris comme une discipline artistique, n'a rien de condamnable. Bien au contraire, c'est un particularisme culturel propre au hip-hop qui a toujours vivifié la scène, a poussé nombre de MC à écrire de meilleurs rimes et affûter leur flow. Quant à l'auditeur, c'est le meilleur moyen de se marrer», décrypte ainsi Thomas Blondeau, journaliste au Monde Diplomatique et aux Inrocks, auteur notamment du livre «Combat Rap». Le fait est, cette musique a vécu certaines de ses plus belles heures au gré des rivalités entre rappeurs. «Ce background historique explique pourquoi il y a autant d'attente autour de cette affaire Booba-Rohff», note toujours Thomas Blondeau. Néanmoins, l'opposition en cours s'inscrit-elle vraiment dans cette histoire émérite ?
Si l'on en croit Augustin Legrand, ancien rédacteur en chef du magazine spé Orbeat, la réponse est clairement négative. Question de culture. «La tradition du beef ne fait pas du tout partie de la culture du rap français», remarque-t-il. Avant d'ajouter : «Du moins, il ne devrait pas. Il constitue un risque de favoriser la punchline facile ou même l’insulte, au détriment du fond. Le beef, on le sait, reste une tradition «ricaine» qui consiste avant tout à de l’esbroufe, pour attirer l’auditeur.» Même son de cloche chez le journaliste Sindanu Kasongo, ancien reporter au magazine Rap Mag et désormais présent sur les sites Booska-p.com et lesinrocks.com : «Booba contre Rohff ? Contrairement à ce qui passe aux États-Unis, il n'y a, ici, aucune notion d'entertainment. Si le premier intègre plus la notion de show, le second reste très premier degré . On peut, d'ailleurs, légitimement se demander si le fameux «Wesh Morray» s'adresse à lui. Peu importe, Rohff en a fait une histoire personnelle et sa réponse n'est pas du tout dans l'esprit battle».
Allusion faite, ici, aux grandes rivalités entre Jay-Z et Nas, Common et Ice Cube ou Boogie Down Productions et The Juice Crew. Autant de clash qui ont donné de grands morceaux de musique... «En livrant au jeu du remix et de la réponse directe, Rohff utilise bien les codes du hip-hop, mais cela s'arrête là. Il y a trop de coups bas au final. Sa rivalité avec Booba s'inscrit d'avantage dans la veine de celle que l'on a connue entre 50 Cent et Ja Rule, des mecs qui avaient surtout envie de se mettre sur la tronche», conclut Sindanu Kasongo. Thomas Blondeau n'est pas plus enthousiaste, ni optimiste pour la suite : «C'est une querelle de clocher, une guerre d'ego qui n'a pas grand-chose d'artistique. D'un côté, un mec qui s'énerve tout seul – mais dont le titre est assez drôle – et de l'autre, un gars qui s'en fout totalement et y oppose un silence méprisant. Ça ne peut pas marcher...». Quid donc de ce clash «à cloche-pied» ? Un pétard mouillé qui, faute de combattants, «va se dissoudre dans les limbes d'Internet», selon ce dernier.